• Genre : RP

    Nom : Nul n'est en mesure de prédire

    Personnage : Neriel

    Contexte : Neriel fait une rencontre des plus étonnantes

     

    Il fut un temps où les jours étaient comptés. Jusqu'au jour du marché. Jusqu'à celui du solstice d'été, ou du solstice d'hiver. Ces temps-la étaient précieux. Jadis, lorsqu'il était enfant, Neriel se souvenait d'avoir trépigné d'impatience avec Elion et Filin, ses frères. Pour quelle raison, il ne s'en souvenait pas forcément. Mais il se souvenait de l'impatience qu'il avait pu ressentir. De la joie et de l'excitation qui l'avaient maintenus éveillé bien des nuits durant. Mais tout cela était loin, désormais.

    Aujourd'hui, sa vie se résumait à une simple chose ; son rôle d'assassin. C'était tout ce qui le reliait à la société. Il n'avait plus ni maison ni famille. Pas d'amis, et pas plus de connaissances. Elion et Filin, l'un après l'autre, avait disparut pour ne jamais revenir. Étaient-ils morts ? Le jeune assassin n'avait aucun certitude, mais au fond, quelle autre possibilité y avait-il ? Ils avaient promis d'être de retour rapidement, mais n'étaient jamais arrivé au point de rendez-vous. Peut-être avaient-ils croisés une autre route en chemin ? Neriel l’espérait - du moins c'était ce qu'il se plaisait à penser - mais les chances étaient minces.

    Alors il continuait sa route, seul. Il avait pris tant de vie, désormais, qu'il n'y songeait même plus. A force de vivre dans la rue, ses capacités s'étaient accrues, et il ne courrait guère plus d'autres dangers que celui de se faire attraper par les milices ou quelconque autre ordre chargé de la sécurité des habitants. Sa maîtrise de la lame et sa discrétion avaient fait de lui un homme aux moyens honnêtes, et il vivait sans mal de ses missions. Il avait des réserves, et de quoi remédier à n'importe quel problème - ou presque - qui se présenterait à lui. Mais vivre richement n'était pas son, souhait. Il préférait se faire discret, et continuer sa vie telle qu'il l'avait commencé. Le jeune homme avait encore bien des choses à élucider.

    Neriel en était donc là, à chevaucher en direction de la capitale. Sa récente rencontre avec Svelyana avait été des plus surprenante, et il elle lui revenait sans cesse à l'esprit. Mais ce n'était pas cela qui lui occupait l'esprit, au point de le distraire et d'altérer ses capacités d'observation. Bien qu'il restât sur ses gardes, son esprit était dirigé vers les souvenirs de sa rencontre avec Delyë, au cour de laquelle il avait découvert une chose si inimaginable qu'elle remettait en question bien des choses. Toutefois, lorsque son étalon pivota la tête en direction de l'est, Neriel reporta aussitôt son regard sur l'horizon, à la recherche d'un quelconque mouvement. Car il n'était pas seul.

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    Tandis que sa monture restait immobile, la tête haute, et les oreilles légèrement en arrière, Neriel scrutait l'horizon. Et bientôt, une silhouette se démarque du paysage, avançant lentement vers le jeune assassin. Aussi surprenant que cela soit, c'était un loup. Un loup à la carrure trapu et impressionnante, qui se dirigeait tout droit vers eux. D'un pas lent et mesuré, les oreilles en arrière, il se faisait menaçant, des sourds grondement faisant vibrer son poitrail puissant.

    C'était une position de menace bien connu de Neriel - comme de tous les Hommes - mais celui-ci ne se laissa pas impressionner. De toute manière, il n'avait que deux choix. Tenter de se montrer plus intimidant, ou fuir. Or, s'il choisissait la deuxième option, le loup finirait par le rattraper. Si Vivaldi était un étalon rapide et puissant, la bête l'était encore plus. Quitte à prendre un risque, autant préserver ses forces, et se laisser une option de fuite possible. Neriel fit donc pivoter sa monture, pour se retrouver de trois quart - presque de face - avec la bête. Son étalon lui avait coûté cher, mais il était désormais parfaitement dressé à la main de son cavalier, qui avait fait en sorte que, peu importe le danger ou le problème, sa monture lui obéisse au doit et à l'oeil. C'est pourquoi, là où bien des chevaux auraient tourné le dos - malgré les directives de leurs cavaliers - l'étalon ne chercha pas à s'enfuir. Il trépignait sur place, faisait quelques pas de côtés en ronflant, mais restait attentif aux demandes de Neriel.

    En observant le loup de plus près, le jeune assassin sentit un léger frémissement lui parcourir la colonne. Frémissement qu'il tenta d'apaiser aussitôt. Ce n'était guère le moment. Pour tenter de se changer les idées, il se concentra sur le moment présent. Pressant légèrement ses mollets, il intima à son cheval d'avancer de quelques pas, ce que Vivaldi fit, tout en restant près à tourner le dos, piaffant presque sur place. Ils avancèrent ainsi d'un ou deux mètres, se rapprochant du loup autant que ce dernier se rapprochait d'eux. C'est alors qu'il observa le regard et la tête du loup. Ce n'était peut-être qu'une illusion, mais il y avait quelque chose qui troublait Neriel. Quelque chose qui n'était pas commun aux autres loups, sans que le jeune homme puisse ne serait-ce qu'énoncer le détail qui le perturbait. Se pouvait-il que ce ne soit pas réellement l'animal qu'il semblait être ? D'une voix posée mais ferme, autant pour rassurer sa monture que pour s'apaiser lui même, le cavalier déclara donc :

    ─ Tu ne m’impressionnes pas.

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    Tandis qu'il faisait face au loup massif, jouant de ses jambes pour faire avancer son étalon, une chose surprenante se déroula sous les yeux de Neriel. Le loup sembla d'abord de mettre debout, puis perdit petit à petit de sa fourrure, pour finir par en être presque dénudé. Ses crocs si saillant se rétractèrent peu à peu, pour devenir des dents plus petites. Des dents humaines. Comme le reste. Une fois encore, Neriel découvrait qu'il en savait bien peu sur le monde qu'il avait toujours pensé connaître.

    ─ Et maintenant mon grand ? En voyant la tête de ton cheval j'ose espérer que toi non-plus tu ne t'attendais pas à cela...Bien ! Une petite question me taraude, pourquoi te diriges-tu vers la forêt de Gudenvald, quelques miles plus loin ? Ne sais-tu pas que des bandits l'infestent comme la peste ? Vu ta carrure tu ne risques pas de faire long feu face à eux...

    Le jeune homme avait parlé d'une voix enjouée, et éclata par la suite d'un rire franc. C'était tout de même plus rassurant, il n'était pas réellement menaçant. Du moins pour l'instant. Et désormais qu'il n'était plus animal, les frissons qui avaient parcourut le dos de Neriel s'étaient estompés. Ils avaient par la même occasion confirmé la pensée de celui-ci, à propos de leur origine. Le jeune assassin se contenta de ne pas trop y penser.

    Un jour, il prendrait le temps. Le temps d'apprendre à se connaître, lui, et son autre moitié. Celle qui était resté caché durant si longtemps. Celle qui lui laissait percevoir un tout autre destin. Et qui lui permettrait peut-être de démêler son passé. Lorsqu'il se sentirait prêt, il ferait tout pour maîtriser à la perfection cet aspect désormais lié à sa vie. Mais pas tout de suite. Neriel n'avait une qu'une occasion de le faire, et il savait que les conséquences auraient pu être bien plus désastreuses qu'elles ne l'avaient été. Il n'était pas encore en mesure de se contrôler, c'est pourquoi il attendrait d'être loin de toute civilisation avant de recommencer. Il s'isolerait, jusqu'à être capable de maîtriser le moindre de ses gestes. Et il ne reviendrai pas avant.

    ─ Je dois avouer que je ne m'attendais pas à cela. Du moins, pas dès maintenant...

    Rassurant Vilvadi d'une brève tape sur l'encolure, il lui rendit les rênes, tandis que lui même se redressait légèrement sur sa selle, quittant sa position quelque peu défensive. Observant quelque peu son interlocuteur, il le détailla du regard, avant de poser son regard dans le sien. Cette petite lueur qu'il avait remarqué était bien plus visible, désormais. Il ne s'était pas trompé lorsqu'il l'avait aperçut. Puis, redressant la tête, il balaya l'horizon, avant de répondre à la question d'une voix calme :

    ─ J'en ai vaguement entendu parler...Néanmoins, j'ai à faire là-bas, et je me dois de m'y rendre. Ils ne m'empêcheront pas de mener mes affaires.

    A première vu, cela pouvait sembler orgueilleux. Peut-être même l'était-ce. Mais au fond, Neriel avait en tête certaines choses que le nouveau venu ne connaissait pas, et qui changeait la donne. Dans le bon sens pour lui.

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    L'Homme en face de lui répondit d'une voix égale :

    ─ Tu es bien présomptueux. Je ne doute pas que quelqu’un qui voyage ainsi, sans aucune compagnie, sache se défendre tout seul. Néanmoins, je ne veux pas manquer à mes devoirs. Ceux-ci étant de protéger les habitants de l’Empire de ce genre d’abjectes crapules. Permets-moi donc de t’accompagner à travers cette forêt. Je te promet que tu n’auras à te soucier d’aucun brigand, j’en fais mon affaire…

    Et, tandis qu'un léger sourire se dessinait sur son visage, il se mit en route, sans que Neriel n'ait eu le temps de protester. Non que la présence du jeune homme le dérange, au contraire, il aurait surement des choses à lui raconter, mais il ne pouvait se permettre de l'emmener avec lui. Les affaires qu'il avait à mener ne regardait que lui, et personne d'autre. Cependant, ils pouvaient sans doute faire un bout de chemin ensemble, puisque l'autre ne semblait guère lui laisser le choix. S portant à sa hauteur, le jeune assassin vînt caler l'allure de sa monture sur celle de son nouveau compagnon de route, et déclara :

    ─ Bien. Je suppose que je n'ai guère le choix. Toutefois, il faudra que nos routes se séparent avant la fin. Les affaires que j'ai à traiter ne regarde que Moi. J'espère que tu ne le prends pas mal.

    Ils avancèrent un moment côté à côté, chacun plongé dans ses pensées, jusqu'à ce que Neriel brise le silence. Il avait envie d'en savoir plus sur ce curieux personnage, aussi demanda t-il d'une voix calme :

    ─ Qu'es-tu donc, en réalité ?

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    Tandis qu'il attendait une réponse à sa question, Neriel menait sa monture d'une main légère, l'autre étant posée sur sa cuisse. Depuis des années qu'il traversait le continent à cheval, il était aussi à l'aise qu'à pied. Et il connaissait son étalon par cœur, autant dire qu'il lui faisait toute confiance. Il l'avait lui-même entraîné, avec l'aide de quelques conseils d'un vieux maître d'écurie. Il était aussi capable, en fonction de l'attitude de son cheval, de deviner ce qu'il se tramait. C'était donc un compagnon de route fort utile, avec qui il aimait passer du temps. C'est alors que son compagnon de route répondit :

    ─ Je te propose un jeu mon cher. Une question amènera une réponse. Je te promets d'être sincère. Cependant, j'aurais aussi le droit de t'en poser une et j'exigerais de toi la même sincérité. Qu'en penses-tu ?

    Neriel réfléchit un instant. Il y avait certaines informations qu'il ne souhaitait guère partager, mais il faudrait que le jeune homme se montre perspicace pour formuler sa question. De plus, cela pouvait être un bon moyen d'apprendre diverses choses. Et puisque le jeune homme exigeait de la sincérité, il le serait forcément en retour. Tournant son regard vers lui, Neriel déclara donc :

    ─ Soit, cela me va. Je te promets d'être tout aussi sincère que tu le seras. Répond à ma question, et je répondrai à la tienne.

    Un air détendu se dessinait sur son visage ouvert, ce qui était plutôt rare pour lui. Cependant, le chemin promettait d'être riche en découvertes.

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    Si Neriel ne craignait pas vraiment d'avoir à révéler certaines choses - sachant que, dans le pire des cas, il pourrait mettre un terme aux questions de son compagnon d'une manière brutale - il ignorait que ce dernier pensait exactement la même chose. Cela remettait donc les choses à égalité. Si ce n'est que le jeune assassin ne maîtrisait encore aucunement son pouvoir, il était donc sans doute en situation d'infériorité. C'est alors qu'un large sourire se dessina sur les lèvres de Trataïr, avant qu'il réponde :

    ─ Alors qui je suis… je suis Trataïr Erubon. Fils du défunt Zart Erubon. Je m’emploi à faire régner l’ordre dans ce pays en tant que commandant de l’archerie impériale.

    Commant de l'archerie impériale. Rien que ça. Si Neriel ne baissait jamais tout à fait sa garde, il songea qu'il faudrait rester encore plus vigilant que d'habitude. Son nouveau compagnon de route avait l'air bien sur de lui, et nullement inquiété par Neriel. Ce devait être un guerrier cachant bien son jeu. Toutefois, Neriel tenta de ne pas paraître désemparé, et opina seulement de la tête, en signe de respect, et d'une légère admiration. Après quelques instants de silence, le commandant posa la question à son tour :

    ─ Bon ! Maintenant c’est à toi de me dire qui tu es. Nom et profession, puisque c’est ce que je t’ai révélé.

    S'il n'avait guère envie de révéler réellement sa profession, Neriel s'était cependant douté que Trataïr lui poserait la question, et il avait promis d'être sincère, alors il le serait. Posant son regard perçant sur le jeune homme, il le fixa avec un air de défi, et déclara d'un ton calme, comme s'il avait révélé être pêcheur ou cordonnier :

    ─ Neriel. Assassin. Je fais parti de la congrégation de la Nuit.

    Il songea alors qu'il ne connaissait pas l'opinion des hauts placés de la société, ceux qui régnaient et gouvernaient ces terres, à propose des Assassins. Il avait néanmoins sa petite idée, mais elle restait à valider. Toutefois, Trataïr lui avait posé la question, il y avait répondu. Il n'y avait rien à ajouter. Comme c'était à son tour, il renchérit de plus belle :

    ─ Parle moi de ta forme lupine. Depuis quand, et comment ?

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    Bien vite, Neriel vit qu'à l'annonce de sa carrière personnelle, Trataïr tiquait. Ainsi, cela confirmait les pensées du jeune assassin. Le jeune commandant n'aimait pas les Assassins. Et s'il n'ajouta rien, Neriel se doutait qu'il n'en pensait pas moins. Peut-être lui demanderait-il par la suite.Peut-être pas. Au fond, il n'avait pas besoin de son approbation pour continuer à mener sa vie comme il l'entendait. Quand Trataïr le regarda à nouveau - avec une expression plus fermée - il répondit à sa question :

    ─ Cela ne date pas de très longtemps. Quelques mois à peine. Je suis devenu ce que l’on appelle un lycan. Je peux me transformer en loup mais aussi en une créature que je qualifierais de… disgracieuse. Mais ne t’en fais pas, tu la verras bien assez tôt si ces couards s’amusent à nous détrousser.

    Avec un petit sourire, Neriel contempla le jeune homme qui marchait à ses côtés. S'il avait l'avantage de l'expérience, le jeune assassin avec l'avantage de la variété. D'après ce qu'il avait compris, il pouvait se transformer en n'importe quel animal, même s'il avait une forme prédominante. Autant dire qu'il avait un large choix, et que presque aucun obstacle naturel ne pouvait lui résister. Presque. Reportant son regard sur la forêt qu'ils avaient désormais atteints, Neriel scruta les rangées d'arbres qui s'alignaient devant eux, cachant la lumière du soleil. Cela n'avait rien des belles forêts qu'il avait déjà pu voir, mais ne l'effrayait pas non plus.

    ─ Ma question est la suivante : Es-tu capable de te battre ou ne sais-tu que planter des couteaux dans le dos ? Si ce n’est pas le cas, alors reste en arrière.

    Ce disant, il fit craquer ses articulations. Neriel perdit à son tour son sourire, et arrêta sa monture. Posant un regard perçant sur le commandant, il resta silencieux un instant. C'était donc cela. Être assassin signifiait être un lâche pour lui. Évidemment, lui travailler pour l'Empire. Il ne s'occupait pas de ce genre de taches. Ce qu'il oubliait sans doute, c'était que les Assassins lui évitait parfois de gros problèmes, en prenant la chose à la source, discrètement, quand personne ne savait encore. D'une voix narquoise, il déclara donc :

    ─ Tu pourrais être étonné de savoir que ces « couteaux dans le dos » t'ont évités bien des problèmes. Tout le monde n'a pas la chance d'être né dans le haut du panier.

    Se faisant silencieux, Neriel scruta les profondeurs des bois. Là, l'odeur putride indiquait que quelque chose les attendait. Et pas quelque chose de bienveillants. Ils allaient devoir se battre, et écarter ces choses de leur passage. Tapotant l'encolure de son étalon, il descendit de ce dernier d'un geste souple. Prenant sur sa selle et dans ses sacoches tout ce dont il avait besoin, il attacha ensuite les rênes de manière à ce qu'elle ne soit ni trop longue,pour éviter que son cheval marche dessus, ni trop courte, pour qu'il puisse brouter. Puis, chuchotant quelques mots à l'oreille de sa monture, il lui asséna ensuite une claque vigoureuse sur la groupe. Dans un ronflement, l'étalon s'éloigna au petit galop, prenant la direction d'où ils venaient. Puis, se tournant vers Trataïr, Neriel déclara d'une voix neutre :

    ─ Tu as le droit de ne pas apprécier ma façon de faire, mais ne me sous-estime pas. Tu n'es pas le seule à savoir manier les armes ici, Trataïr.

    Ce disant, il se mit en route, s'engageant dans la forêt. Il espérait pouvoir se débrouiller sans avoir à faire appel à son tout nouveau don. Toutefois, il n'hésiterai pas à l'utiliser si le besoin se faisait sentir. Qu'importe ce qu'en pense Trataïr, il s'était déjà forgé un avis sur le jeune assassin.

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    Trataïr ne répondit guère, se contentant d'avancer. Il semblait mue par une sorte d'instinct primaire que Neriel ne pouvait définir. Pas encore, du moins.

    ─ Je ne suis pas plus né dans le haut du panier que toi, jeune homme. Je l’ai simplement atteint à la force de mes bras.

    Ce fut au tour du jeune assassin de ne rien répondre. Peut-être que Trataïr était arrivé à ce rang grâce à sa seule volonté, mais toujours était-il qu'un jour ou l'autre, il en avait eu l'opportunité. Petit, Neriel n'avait eu que deux choix possible après cette terrible nuit : mourir, ou voler. Et de mal en pis, il en était arrivé à tuer, c'était vrai. Mais ce n'était pas ce qu'il avait toujours escompté faire, c'était seulement la seule chose dans laquelle il lui avait été donné d'exceller. Et par bien des côtés, il se jugeait plus honnête que certains assassins de la confrérie. Il étudiait toujours les renseignements qu'on lui donnait sur une potentielle victime avant de s'engager. Si tant est qu'il pouvait l'être, il essayait d'être le plus juste possible.

    ─ Je ne doute pas de ton habilité, c’est bien comme ça que tu gagnes ta croûte. Mais j’attends encore que tu me la prouves. En ce qui concerne le fait de m’éviter des problèmes, les gens comme toi ont plus tendance à m’en causer. Combien de tes « frères » j’ai surpris à essayer de verser des substances étranges dans mon verre ou bien à carrément essayer de me planter une lame dans les tripes. Les gens comme toi exterminent les gens comme moi pour le compte d’autres personnes. C’est ainsi fait. Mais j’aimerais que si un jour on te donne un contrat qui réclame ma tête, tu assumes ta profession et que tu l’acceptes. Peux-tu me promettre cela, Neriel ?

    La prouver ? Quand il voulait. S'il avait voulu, Neriel aurait sans doute pu le clouer sur place, ici, et s'en aller. Mais il ne le ferait pas. Si Trataïr le dérangeait par certain aspect, il n'avait rien de mauvais. Du moins, pour le moment. Le jeune assassin ne doutait pas qu'on ait déjà essayé de l'assassiner, puisqu'il occupait une place importante, et que beaucoup souhaitaient sa place. Mais Neriel n'y était pour rien. Et de toute manière, s'il faisait partie de la Confrérie, il ne donnerait pas pour autant sa vie pour elle. Bien sur, il avait quelques connaissances appréciables, mais certains avaient plutôt tendance à le dégouter. Des bêtes, avides de sang et d'argent. Alors il acquiesça. Parce que s'il advenait qu'il devait mettre un terme à la vie de Trataïr pour des motifs qu'il jugeait valable, il le ferait. Mais pas par derrière. Il lui montrerait qui il était.

    Puis, tandis que des bruits de pas se faisaient entendre autour d'eux, Trataïr se métamorphosa petit à petit. Si Neriel n'était pas réellement effrayait, il fut tout de même étonné d'observer une telle chose. Ce n'était guère beau à voir, plutôt fascinant. Une musculature puissante qui grandissait, un corps nu qui se recouvrait de poils, un visage fin qui devenait une gueule aux crocs démesurés. Sans nul doute, cela pouvait faire des dégâts. Quand Neriel songeait qu'il devait faire à peu près la même chose, un léger frisson le parcourut. Il aurait aimé avoir l'occasion d'apprivoiser son pouvoir avant d'en avoir besoin, mais il n'était plus temps de faire demi-tour. Avec un peu de chance, il s'en sortirait sans.

    ─ Tu estimes que je dois quelque chose à tes confrères… mais est-ce que… un molosse pareil… a besoin de l’aide de mâtins qui n’ont d’autre idéal que l’argent ?...

    Neriel le dévisagea longtemps, les yeux plissés. Néanmoins, il ne répondit pas tout de suite. La pique de Trataïr n'avait de sens que pour eux, mais ils pourraient en débattre pendant des heures. Or, il n'était guère temps de pourparler, ou d'envenimer la situation. Il se contenta donc de murmurer d'une voix grave :

    ─ Tu finiras par tomber sur plus fort que Toi, et ce jour-là, tu regretteras que les mâtins ne soient pas là. Surtout lorsqu'ils sont un peu plus que cela.

    Puis, tandis que des silhouettes se profilaient à quelques dizaines de mètres, Neriel porta la main à sa ceinture. Si les rats qui se trouvaient là bas tentaient de se cacher et de tendre une embuscade, c'était sans compter les sens sur-développés des deux hommes qui venaient à leur rencontre. Sans compter sur leur adresse et leur maîtrise des armes - ou d'un quelconque autre pouvoir - non plus. Quand les doigts fin du jeune homme touchèrent le manche de son premier couteau, il pris une profonde respiration, arrêtant son geste quelques fractions de seconde. Puis, dans un mouvement rapide et précis, il referma sa main sur le manche, dégaina, leva le bras et propulsa son couteau avec force et précision. L'homme qu'il visait eut à peine le temps de se décaler, et le couteau atteignit son épaule. Pas mortel, mais largement handicapant. Et tandis qu'il saisissait son bras en hurlant, une nuée d'ennemi sorti de derrière les arbres, et se rua vers eux. D'une voix légèrement moqueuse, Neriel déclara alors à l'attention de son compagnon :

    ─ Le déjeuner est servi.

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    Sans que les deux compagnons de route aient réellement le temps d'assimiler, des hordes de bandits et de malfrats se précipitaient déjà, se bousculant les uns les autres. Ce sera toujours ça de moins. Neriel savait combien une foule en panique ou qui se mouvait un peu violemment pouvait être dangereux. Une chute était alors presque sans issue tant il était compliqué de se relever. Heureusement, eux n'étaient pas à la mauvaise place, mais bien dans celle de ceux qui tenaient fermement sur leurs pieds - ou leurs pattes, selon le point de vue.

    Un infime instant avant que le premier ennemi ne soit sur lui, Neriel eut le temps d'apercevoir Trataïr - ou la créature qu'il était devenu - fracasser le moindre bandits. Ses larges pattes et sa musculature sur-puissante ne faisaient qu'une bouchée de ses ennemis. En avait-il au moins réellement le contrôle ? Neriel n'eut guère le temps de se pencher plus sur la question. Il était déjà encerclé de plusieurs ennemis, qui étaient prêts à en découdre. Heureusement, dans la panique de la découverte de leur cachette, ils n'avaient guère eut le temps de mettre au point une stratégie. C'est pourquoi, alors qu'une attaque concertée aurait pu être difficile à contrer pour Neriel - ils se jetèrent l'un après l'autre sans se synchroniser. Autant dire que le jeune assassin avait le temps d'en descendre un avant que les autres ne s'y mettent.

    S'il aimait faire les choses proprement, il n'en eut cependant guère l'occasion. Ils étaient trop nombreux pour qu'il puisse réfléchir. Alors il coupait, tranchait, perçait sans le moindre scrupule, peu importait que les bandits ne meurent pas sur le coup, gémissent ou appellent au secours. Il n'y aurait personne pour les aider. Néanmoins, ils étaient si nombreux que le jeune homme ne pouvait souffler entre deux, il y en avait toujours d'autres à venir. Et s'il était endurant et aguerri, il n'était cependant pas infatigable. Ainsi, tandis que les minutes s'écoulaient, la sueur commençait à perler à son front, et ses muscles mettaient de plus en plus de temps à répondre - bien que ce soit encore tout à fait acceptable. Ses vêtements auparavant immaculé étaient désormais tachés de sang, tout comme ses armes. Il ne lui restait plus que deux couteaux et son épée, le reste ayant été lancé ou projeté sur des ennemis à distance.

    Et il commençait à ressentir ce fourmillement si caractéristique. Celui qui voulait tout dire. Pourtant, il ne voulait rien lâcher. Il ne voulait pas se montrer à Trataïr. Pas encore. Pas comme ça. Alors, dans un grognement de rage - tout à fait audible même dans le chaos du combat - il reprit ses assauts de plus belle, tailladant et fauchant les ennemis autour de lui. Il n'avait pas dit son dernier mot. Et sa volonté et sa détermination était telle qu'il ne plierait qu'en dernier recours, à genou, et pas avant. Qu'importait le reste, il voulait garder cette infime supériorité que lui conférait son secret tant qu'il n'était pas révélé. Peut-être bien que, si un jour il avait affaire au général, ce petit secret pourrait lui sauver la vie. Ou aurait au moins un effet de surprise. Par nature, Neriel n'aimait pas révéler ses compétences, préférant toujours se taire pour que ses potentiels ennemis ne puissent pas le jauger. Or, dans le cas présent, Trataïr connaissait désormais son nom - donc potentiellement des renseignements sur lui -, son métier et donc ses aptitudes au combat, dont il avait la flagrante démonstration ici. Autant dire qu'il avait déjà tout ce que pouvait vouloir un rival.

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    Tandis que Neriel s'escrimait à repousser ses ennemis comme il le pouvait, il manqua un instant d'attention, et une première lame vînt entailler son avant-bras. Pas bien profond, mais suffisamment pour le faire saigner et le gêner. Et si son adversaire n'eut guère le temps de savourer sa victoire - à cause d'un coup de poignard bien placé - d'autres en profitèrent pour se ruer sur lui. Alors le jeune homme repris sa danse de plus belle, sachant pertinemment qu'il ne tiendrait plus très longtemps sans se transformer. Et soudain, alors que le fourmillement s'intensifiait, une douleur cuisante vînt couper court au processus. Une lame fine et aiguisée était parvenue à se frayer un chemin jusqu'à sa taille, qu'elle avait profondément entaillé. Portant la main à sa blessure, Neriel tenta tant bien que mal de stopper le saignement en se défendant. Peine perdue, c'était impossible.

    Il plongea alors sa lame dans un énième corps, avant d'abandonner, et de se laisser tomber à genou, à demi-conscient. Il avait tant puisé dans ses réserves qu'il n'était plus tout à fait lui-même. Sa blessure saignait, et si elle n'était pas mortelle, elle pouvait très bien le devenir s'il n'agissait pas rapidement. Mais il n'était pas en mesure de prendre des décisions. Il était à cheval sur la frontière entre sa forme humaine, et le reste. Cet immense univers qu'il n'avait fait qu'appréhender. Mais la décision ne lui revenait plus, alors il se laissa aller, les yeux fermés et la tête en arrière. Tout était si flou et confus. Trataïr pourrait sans mal lui couper la gorge s'il le désirait, pour une quelconque raison que le jeune homme n'aurait su déterminer.

    ─ Ça va de ton côté ?

    Neriel dû mettre une bonne partie de sa volonté pour réussir à rouvrir les yeux et à se redresser. Tournant son regard hagard vers le Général, il eut la surprise de rencontrer un regard humain. La bête avait laissé place à l'homme. Il s'était assis contre un tronc, son torse nu ne présentant aucune entaille. Pas une seule. A peine quelques éclaboussures. C'était tout le contraire pour le jeune assassin. Ses cheveux en bataille étaient collés à son front par la sueur, son poignet et son côté avaient laissé de larges sillons de sang un peu partout sur ses vêtements, le reste étant tâché par celui de ses ennemis. Il en avait même sur le visage. Sans détacher son regard de celui de son compagnon de combat, il murmura d'une voix rauque :

    ─ Il n'en fallait pas un de plus.

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    Tandis que tout devenait à la fois flou et lointain, Neriel se sentit soulever, sans avoir le temps de protester. Il se retrouve sur le dos de son nouveau compagnon avant même d'avoir pu dire un mot. Puis, tandis que Trataïr se transformait de nouveau, le jeune assassin cessa quant à lui de lutter. Il n'avait plus la force de marcher, ni même de tenir debout. A quoi bon protester ? Le commandant déclara alors quelque chose que le jeune homme ne saisit qu'à moitié, puis se mit en route à grandes foulées. Neriel s'agrippa comme il pouvait, usant ses dernières forces pour ne pas rouler à terre. Mais soudain, alors que le grand mâle blanc ralentissait, tout devînt noir, et il perdit connaissance quelques minutes. Quand quelques paroles sonnèrent à ses oreilles, il rouvrit péniblement les yeux :

    Tout va bien camarade ?

    Neriel mit un peu de temps à émerger, essayant de comprendre la question. Il était assis derrière Trataïr, juché sur une monture. Si ses vêtements étaient encore tâchés de sang - du sien comme de celui de ses ennemis - ses blessures avaient été bandées sans qu'ils s'en aperçoive. Néanmoins, ils étaient déjà tâchés, et ne tiendraient pas très longtemps. Se redressant comme il pouvait - rester digne jusqu'au bout, tel était sa devise - il fronça les sourcils un instant, grognant sous la douleur, avant de marmonner :

    ─ Je crois que ma prochaine mission attendra.

    Un moyen comme un autre de dire qu'il n'était pas en pleine possession de ses capacités, sans pour autant avouer qu'il était au bord de l'inconscience. Néanmoins, il se doutait que, sans Trataïr, il aurait pu rester inconscient dans les bois, et s'y vider de son sang. Autant dire qu'il avait désormais une dette envers le jeune commandant bien que cela ne lui plaise guère. Dans un souffle, il ajouta donc :

    ─ J'ai une dette envers toi, désormais. Je ne l'oublierai pas.

    Et, tandis qu'ils chevauchaient aux côtés de quelques soldats, Neriel songea que seul, l'issue aurait été tout autre. Soit il serait mort, soit il aurait muté, et s'en serait sorti sans une égratignure, ou presque. Mais telle était la vie ; rien ne se déroulait jamais comme on l'avait envisagé.

     
       

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